Depuis 2018, le ministère de la Justice a dépensé au moins 125 millions d’euros pour rechercher des téléphones portables en prison. Son arme : le brouilleur de téléphone portable.
En 2018, Nicole Belloubet, Prédicateur de Justice, introduisait : « nous n’activons pas les téléphones portables en détention ; c’est pourquoi nous avons pris un accord pour brouiller les smartphones, ce qui sera d’une efficacité exceptionnelle ».
Efficace?
Pour le savoir, l’Œil de 20h a pris l’exemple de la prison de la Santé à Paris.
Depuis la rénovation de l’édifice en 2019, la traque aux téléphones portables illégaux s’annonce en effet draconienne. Cinq cents brouilleurs de signaux ont en effet été installés.
Mais quelques heures investies sur les réseaux sociaux suffisent pour reconnaître que les communications ne sont pas toutes coupées en 2021 à la prison de la Santé. Les détenus se filment eux-mêmes et publient également depuis leur téléphone portable des vidéos générées depuis l’extérieur. Malgré les brouilleurs, les propriétaires constatent qu’il y a toujours autant de trafic de téléphones lors des expulsions de la prison.
« Nous supposons que de nombreux téléphones portables arrivent dans la prison. »
Une citoyenne du quartier, dont les fenêtres de son appartement donnent directement sur la prison, déclare : « Vous voyez ce petit avantage là-bas ? On voit beaucoup d’échanges de téléphones portables. On pense qu’il y a beaucoup de téléphones portables derrière les barreaux ».
A l’entrée de la structure attenante, sur des images de vidéosurveillance que nous avons effectivement acquises, on voit discrètement des individus préparer des plans. De la nourriture, des médicaments mais aussi des téléphones. Ils jettent ensuite leurs paquets sur la surface du mur. Les détenus n’ont plus qu’à les ramasser dans les allées et utilisent également une stratégie bien rodée : ils récupèrent les ballots de leurs cellules avec des morceaux de draps. Ainsi que, dans certains cas, les échangent également entre prisonniers.
Alors pourquoi les brouilleurs de signal seraient-ils inefficaces à la prison de Wellness malgré un budget prévu, selon les syndicats, de 7 millions d’euros chaque année ? Nous avons pu entrer dans la prison avec la sénatrice écologiste de Paris, Esther Benbassa, lors d’une visite impromptue.
Dans la lutte contre les téléphones portables, la prison du Bien-être en est un exemple, le tout premier établissement en France équipé d’un système de brouilleurs de nouvelle génération.
« Il n’y a pas de technologies qui fonctionnent parfaitement. »
Si au rez-de-chaussée, les communications semblent bien réduites, aux étages supérieurs, en revanche, ainsi que particulièrement dans le quartier des prévenus, les téléphones fonctionnent. Bruno Clément-Petermann, directeur de l’établissement, admet l’arbitraire des performances du dispositif : « les brouilleurs fonctionnent encore dans certaines parties de l’établissement. Après, c’est vrai que c’est plus facile quand on monte dans les étages supérieurs. Ça pose des soucis, oui, mais nous n’avons en fait jamais eu de retraite en bas ; il n’y a pas d’innovations qui fonctionnent complètement ».
La technologie moderne, en particulier. Fondamentalement, les brouilleurs de téléphones portables proposés par une société fournisseur réduisent les effets des réseaux 2 et 3G. Ils bloqueraient juste partiellement la 4G. De même qu’aujourd’hui, la 5G beaucoup plus performante rend les brouilleurs obsolètes, et le ministère de la Justice le reconnaît.
« Le téléphone portable est un fléau dans l’appréhension. »
Pour Erwan Saoudi, délégué local du syndicat pénitentiaire FO Justice, il est immédiat d’agir. Et la maison d’arrêt de la Santé serait certainement loin d’être un cas isolé en France : « les téléphones portables sont un fléau dans l’appréhension. Cela permet à des individus encore à l’intérieur de continuer leur trafic à l’extérieur ainsi qu’à certains détenus de rester pour écoutez leurs victimes. cela pose un problème pour la sûreté et la sécurité à l’intérieur mais aussi à l’extérieur ».
Contactée, la société prestataire qui a mis en place les brouilleurs a déclaré être soumise à une obligation de discrétion. Chez Wellness, 1 200 téléphones portables ont été saisis cette année. Généralement plus d’un appareil par détenu.